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Les Editions Stentor sont la première maison d’édition romande spécialisée dans les mauvais genres.

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A découvrir dès le 12 octobre 2016 aux Editions Stentor, le premier roman d'un jeune auteur lausannois, Nicolas Alucq. Les amateurs de SF et... d'heroic fantasy (si si!) seront aux anges!

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Autoportrait en nature morte

K.-O. debout : tel m’apparaît parfois l’Homo numericus, comme titubant sur le ring, sorte de boxeur qui aurait encaissé trop de coups et serait près, les rotules jouant des castagnettes, d’être compté jusqu’à dix. Alors que la sinistre affaire Meklat vient nous rappeler que Twitter peut être une formidable décharge publique, une fosse pélagique où croisent les appels au meurtre ou au pogrom, quand ce ne sont pas les brillants commentaires géopolitiques du machin à la crinière blonde censément président des Etats-Unis, il sera question aujourd’hui d’une autre mode digitale, certes moins venimeuse quoique tout aussi symptomatique de nos dérives : j’ai nommé le selfie.

D’emblée, ça commence mal, puisque selon le mot fameux de Camus, « mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde ». Il n’est certes pas étonnant que le terme selfie ait fait florès, vu la puissance de feu de l’anglo-américain et la flemme ou l’aplaventrisme stupéfiants des francophones, hormis les Québécois, lorsqu’il s’agit de défendre leur langue maternelle. Je rêverais pour ma part de lexicographes un peu plus couillus, de locuteurs un peu plus inventifs, de forgerons qui n’hésiteraient pas à marteler le métal en fusion des mots d’importation afin d’en tirer des vocables qui claquent et vous ont un peu plus de gueule qu’un énième anglicisme – car entre nous, qu’est le selfie, sinon un avatar de l’autoportrait, un egorama, un autoptique, une icônomoi ou que sais-je encore ? Allons, mesdames et messieurs les académiciens, mesdames et messieurs les auteurs, un peu de nerf ou de punch, que diable !

Mais là où la vogue du selfie commence vraiment à me chauffer les sangs, c’est en ce qu’elle élève l’infantilisme narcissique au rang des beaux-arts. Ainsi que le rappelait la philosophe et psychologue Elsa Godart dans un récent numéro de Migros Magazine (10.10.2016, pp. 30-33), la pratique de se tirer le portrait à tout bout de champ – avec si possible des moues et des mines qui feraient passer la pire des botoxées pour un parangon de beauté naturelle – évoque le stade du miroir chez Lacan. Rock’n’roll, n’est-ce pas ? En effet, ledit stade concerne les mouflets entre 6 et 18 mois. Il n’est pas supposé durer jusqu’à l’adolescence, et encore moins s’appliquer à ce qu’on appelait jadis des femmes ou des hommes faits. Navrant, l’egomaniaque du selfie l’est également en ce qu’il rappelle les tics et les tocs d’une certaine photographie de voyage, cette habitude funeste de toujours vouloir poser sa carcasse de touriste devant un paysage, une cathédrale, une statue, dans une rue pittoresque ou sur une plage à damner tous les seins. Est-ce à dire que le selfiste ne serait en somme que le touriste de sa propre vie, une espèce de soi nomade tout anxieux et tout pressé de se rassurer quant à son existence semée de roses, ses aventures rocambolesques, ses rencontres avec des gens forcément extraordinaires, voire avec d’authentiques pipoles, le tout théâtralisé à grands renforts de sourires pénibles ?

Je suis tenté de le croire et j’irai même plus loin. En tant qu’héritier de l’art de l’autoportrait, le selfie charrie une évidente charge symbolique. Tout comme Dürer s’est représenté en Christ ou Liotard en peintre turc et plus tard peut-être en Démocrite riant, le selfiste en dit beaucoup plus sur lui-même qu’il ne le croit de prime abord (alors que ses illustres prédécesseurs étaient conscients de ce qu’ils faisaient, eux). Adorateur de soi, il minaude sa vie et fait tant de manières qu’il ne faut pas beaucoup de mauvais esprit pour y voir la resucée d’un genre bien connu : la nature morte en vanité. Il était courant en effet, notamment dans la peinture hollandaise du XVIIe siècle, d’organiser le discours pictural de la nature morte autour du motif du crâne, accompagné souvent de chandelles, d’insectes, de fruits éclatés et autres emblèmes signifiant le caractère éphémère de toute vie, de toute chose. Memento mori, souviens-toi que tu vas mourir – c’était bien la leçon de ces vanités peintes. En plaçant sa bobine au centre de la représentation, encore et encore, en tournant le dos au monde pour mieux s’y montrer sous son meilleur jour, avec force risettes et déhanchés sexy, l'egolâtre au smartphone vise probablement à conjurer son angoisse de la mort, à neutraliser l’impression de sa propre inanité par une déclinaison de l’ego warholienne, et ce jeu continuera jusqu’au jour où les promesses du transhumanisme donneront au monde ébahi, qui n’en demandait pas tant, le premier selfiste immortel…