Ah ! ça non, mes amis du Matin, il faut arrêter tout de suite, ça ne va pas, mais alors pas du tout le faire !

Précisons d’emblée que je ne m’adresse pas à des proches adeptes du lever à l’aurore, mais bien aux journalistes du célébrissime canard romand. Que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam (les journalistes, pas le canard, merci de suivre).

 

Donc, il y a quelque temps, égaré sur le site web de votre titre, je suis tombé sur le 273e article – O.K., c’est une estimation à la louche, mais le pire est qu’elle doit être assez fidèle à la réalité – consacré aux célibataires en mal de rencontres et aux nouveaux modes de dating qui font bisquer les solos 2.0. Bien, parfait, nickel. Oh ! non pas que le sujet soit odieux en soi, votre serviteur faisait partie jusqu’à récemment de cette joyeuse cohorte de découplés et n’avait rien contre le fait d’entrer en collision avec une souris. Par contre, où ça coince, mes amis du Matin, c’est avec l’assommant sponsoring façon « Mazoyota Speed Dating : osez de nouvelles formes de rencontre amoureuse ! », lequel pour le coup donnait plutôt envie de sa châtrer que d’aller courir le guilledou. Et en effet, dans cette avalanche de publireportages, vous nous avez fait un panorama spectaculaire de sujets anglés « vay-s-coco-ça-c’est-du-lourd-du-sociologique-impactant » qui pourtant se terminaient tous, toujours, sur le même paragraphe vantant les mérites d’un rencontre au volant d’une caisse de la marque susnommée. On a eu droit à la totale : comment draguer quand on est vieux, gros, roux, allergique aux sites de rencontres ou intolérant au gluten, encarté à l’UDC ou au PLR, quand on est fromage ou dessert, Bach ou Vivaldi, écolo ou climatosceptique, j’en passe et des meilleures (si vous insistez vraiment, un exemple ici). Ne manquait à l’appel que l’article se penchant (beaucoup) sur la douloureuse question des rencontres entre nains – mais je pense que le rédac’ chef n’en a pas voulu parce que ça l’aurait foutu mal de conclure sur les avantages du speed dating au volant d’un kart plutôt que de la dernière Mazoyota, le modèle avec une chiée de chevaux sous le capot et tout le toutim des options disponibles.

A cette presse péripatéticienne, qui décline les sujets prétextes pour mieux vous vendre de la bagnole ou autre came dispensable, je voudrais opposer l’une des dernières formes de journalisme authentiquement libre, citoyen et polémique : la presse satirique.  Une presse qui, pour commencer, expose sincèrement ses propres conflits d’intérêts quand elle en a. Par émulation, l’honnêteté me pousse ainsi à déclarer que l’auteur de ces lignes fonctionne parfois comme correcteur au sein du vénérable Vigousse, le petit satirique romand. Je suis donc forcément de parti pris. Mais j’ajoute qu’au moins, je connais cette presse de l’intérieur et je sais de quoi je parle. Pas comme certains.

Prenons ainsi le cas des quelques mois précédant l’élection à la présidence de la République, chez nos voisins et amis français. Je vous le servirai de cette manière : si vous désirez vraiment savoir ce qui se trame, quelles sont les tensions, manœuvres et entourloupes entre les candidats, si vous voulez repérer les lignes de fracture qui lézardent tel ou tel parti, ou percevoir clairement sur quels enjeux économiques ou sociaux l’élection va se jouer, vous serez bien inspiré de lire Le Canard Enchaîné plutôt que nombre de titres de la presse classique, dont je rappelle qu’ils sont aujourd’hui presque tous la propriété de fieffés bétonneurs ou de marchands d’armes ou de luxe. D’ailleurs, au cours des dernières décennies, combien de scandales révélés, combien de scoops mis au jour par la seule pugnacité du Palmipède, quand les journaux bien comme il faut vendaient de la soupe et endormaient le lecteur ?

Sous nos latitudes, grâce soit rendue aux cervelles surchauffées qui, chaque semaine, font ce Vigousse en effet frétillant, frais comme un gardon et délicieusement impertinent : seize pages bourrées jusqu’à la gueule de drôlerie et, je vous le donne en mille, d’informations souvent inédites, que vous ne lirez pas plus dans la putative presse de référence que dans tel canard pipole. Vous voulez savoir à quelle sauce les parlementaires bernois proposent de manger les personnes surendettées, celles qui sont la proie des sociétés de recouvrement ? C’est dans Vigousse, nulle part ailleurs. Vous voulez un aperçu des turpitudes politiques et autres magouilles de tel marigot cantonal ? Des informations scientifiques on ne peut plus sérieuses, décodées par une plume compétente qui a le bon goût d’être caustique ? Un regard décalé et percutant sur l’actualité sportive et culturelle ? Vigousse ! Des chroniques historiques troussées de main de maître et éclairant l’actualité d’un jour parfois surréaliste ? Des enquêtes de terrain, le récit détaillé et hilarant de telle conférence de pacotille, du véritable journalisme d’investigation ? Des nouvelles fraîches du nombrilisme contemporain, à travers une série à hurler de rire sur les cinglés de l’autoédition ?  Vigousse encore ! Le tout enrobé de dessins au comique souvent irrésistible, tantôt acides et tantôt émouvants, sous l’hénaurme et nietzschéenne moustache de l’un des parrains du dessin de presse romand…

Amie lectrice, ami lecteur, à vous de trancher. Mais la prochaine fois que vous hésiterez devant le présentoir à journaux, posez-vous la question suivante : voulez-vous être diverti seulement, voire mené en bateau, ou voulez-vous être informé tout en vous fendant la malle ? De votre réponse dépendra l’acte d’achat. Quant à moi, ma religion est faite. J’opte pour le rire et pour la qualité des informations. Car à ceux qui ont encore quelques doutes à ce sujet, je le confirme : le rire et l’ironie charrient un poids de sagesse évident, et ce n’est pas Bergson (Le rire. Essai sur la signification du comique, 1900) et Jankélévitch (L’ironie, 1936) qui me contrediront.